Le 6 juin 1944, les Alliés débarquaient en Normandie. C’était le début de la fin de la guerre. Quatre-vingts ans plus tard, de nombreux sentiments sont encore vivaces : la gratitude pour le sauvetage, mais aussi la tristesse, les traumatismes et le désespoir. Comment les Normands commémorent-ils ce jour ? Bertrand Fizel, notre envoyé spécial en Normandie, est parti à la recherche de témoins qui, quatre-vingts ans plus tard, se souviennent de cette journée si particulière qui a bouleversé leur vie.
Jean Pivain
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Et commençons par Jean Pivain, 94 ans, qui avait donc 14 ans lors du débarquement allié. Il nous raconte avec émotion cette journée qui commença par un cours de mathématiques.
Jean Pivain : On avait un cours de maths le 6 juin au matin. Alors dans la nuit, on a entendu des avions, mais il y a eu un roulement continuel de « houm houm houm » Et on se demandait qu’est-ce qui se passait. Et notre prof de maths en arrivant, il dit : « Mes enfants, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer : « Les Anglais ont débarqué sur les côtes du Calvados. » Alors comme des enfants, ben : « Hou hou hou »... Et puis alors le 30 juin, parce qu’on était quand même 150 enfants quand même là-dedans. Le maire de Saint-James et le directeur ont dit : « Bon, ben, avec 100 enfants sur les bras, s’il y a des combats qui sont ... c’est assez dangereux. Il faudra peut-être un petit peu essayer de répartir les enfants. » Donc on nous a fait répartir dans des fermes, et nous n’avons été libérés que le 30 juillet. Mais c’est ça qui est formidable, c’est que la conscience des enfants... On savait pas ce que c’était que la guerre. On ne se rendait pas compte des combats.Maintenant, c’est facile de dire : « Il y a eu le débarquement, il y a des... » Mais nous, on ne savait rien du tout... Et un beau matin, il y a un paysan qui habitait à côté chez nous, qui disait : « Les Anglais sont arrivés à côté, ils sont dans le champ. » Alors on est sortis de la ferme en douceur. On est allés voir dans les champs, mais en fait, c’étaient pas des Anglais, c’étaient des Américains. On ne savait pas nous, on croyait que c’étaient des Européens.
Mais Jean-Pivain va rapidement devoir assister aux horreurs de la guerre :
Jean Pivain : Alors là, on est repartis en car sur Cherbourg. On a commencé à voir le résultat des bombardements sur Avranches, c’est la guerre, si vous voulez en quelque sorte.
Bertrand Fizel : Les ruines ?
Jean Pivain : La guerre, alors là, on a pensé : « Qu’est ce qui s’est passé, comment ? Alors, Avranches, Coutances, Lessay, La Haye-du-Puits, Saint-Sauveur. Mais, on découvre, si vous voulez, tout un tas de maisons éventrées, des trous d’obus, beaucoup de matériel de guerre d’Allemands, de voitures, de chars qui sont renversés. C’est affreux, si vous voulez.
Mais après les horreurs arrive l’euphorie de la Libération:
Jean Pivain : Il y a eu une période euh… de 1944 à 1950, à peu près ces 5, 6 ans-là, qui a été une période formidable. Les gens avaient retrouvé la liberté… euh, on chantait dans les rues, il y avait des radiocrochets, tout le monde s’entendait, c’était… C’est une période de vie merveilleuse.
Andrée Auvray
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Passons maintenant au témoignage poignant d’Andrée Auvray, 98 ans, qui n’attendait pas seulement les Alliés et la libération, mais aussi et surtout un heureux évènement.
Andrée Auvray : Euh...J’étais enceinte et j’attendais mon enfant pour le mois de juin.
Bertrand Fizel : 44 ?
Andrée Auvray : 44.
Bertrand Fizel : Incroyable.
Andrée Auvray : Incroyable. Donc le matin… Et tout d’un coup, on voit des soldats qui étaient dans l’avenue, comme ça, baïonnettes pointes. Et alors, on a levé les bras aussitôt, hein. C’était la Libération parce que pour nous, ils étaient là...euh... ça allait... On ne doutait pas que ça allait bien se passer, hein.
Pour Andrée, ce 80e anniversaire est donc aussi...
Andrée Auvray : C’est les 80 ans de mon fils aussi. Et quand on a vécu l’Occupation, la Libération, c’est quelque chose de formidable.
Michel Boivin, historien et anthropologue
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Une période de joie donc et de fête, mais aussi de destruction et de mort pour les habitants de Normandie et principalement de la Manche, qui ont dû payer un lourd tribut avec un bombardement intensif de nombreuses villes. Ce déchaînement de violence a laissé chez de nombreux Normands des sentiments paradoxaux. L’historien sociologue et politologue Michel Bovin nous raconte ce qu’il appelle le paradoxe des paradoxes.
Michel Boivin : C’est-à-dire une mémoire vivante de 44-45 qui considère qu’il y a eu une occupation américaine et que c’est donc, ce serait donc... Ç’aurait été une seconde occupation, pire que la première, sous-entendue l’Occupation allemande. Les villes ont été libérées après ce que l’on a appelé « des bombardements de saturation » les fameux bombardements stratégiques qui ont littéralement meurtri des villes comme Saint-Lô, comme Caen, comme Valognes, comme Avranches, Vire, etc. Et là, pour prendre l’exemple de Saint-Lô, lorsque les premiers Américains arrivent dans Saint-Lô, à la fin de juillet 1944, ils sont accueillis, non pas en entendant « Welcome ! », mais en entendant « Go home ! », le poing levé !
Autre originalité de la Manche, c’est que c’est le département où les combats n’en finissent pas. Le débarquement à Utah Beach, c’est le 6 juin 1944 et le dernier soldat allemand quitte la Manche le dernier le 14 août 1944. 11 jours après, de Gaulle est à Paris. Paris est libéré. C’est-à dire que l’essentiel des combats s’est déroulé dans la Manche, le Calvados, un peu l’Orme aussi par la suite, mais… Vraiment la Manche, c’est quelque chose de continu entre le 6 juin et le 15 août 1944. Donc ça a duré très très longtemps. Il y a eu beaucoup de casse, environ 3 500 victimes civiles, plusieurs dizaines de milliers de morts. Plus de 20 000 côté américain et probablement plus que cela, beaucoup plus que cela côté allemand, mais on n’a pas… on n’a pas tous les éléments pour mesurer exactement, mais au moins 30 000 Allemands tués sur le sol manchois...
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